Textes d’après « Souvenirs en Vrac »
Éditions Universitaires – 1986
« Je suis né à Paris sur la place St André des Arts, le 27 juin 1910, l’année de la grande inondation. Ma mère tenait une petite boutique d’herboristerie au coin de la place, et mon père était représentant en produits pharmaceutiques.
J’ai été mauvais élève à Saint Séverin… Il faut dire que les marges de mes cahiers étaient pleines de croquis. Le directeur, navré, fit venir mon père et lui conseilla fortement de me laisser faire du dessin. J’allais me présenter à « l’École des Arts Appliqués ».
J’accomplissais le trajet de la maison à l’école avec un maigrichon nommé « Petit Beurre ». Ce « boiscout » m’avait entraîné dans un local scout, cela sentait l’aventure, la bagarre, le grand air.
Le chef de patrouille nous déclara : « Un trésor est caché dans la région ».
C’est à partir de cet instant, en entendant cette phrase, le 12 novembre 1925, vers 10H trente, en forêt de Meudon, que j’ai eu l’impression très nette que j’allais rester Scout.
A dix-huit ans, je débutais dans l’atelier de dessin de L’Illustration, une des plus grandes revues de l’époque. La carrière de dessinateur est en principe libérale. J’avais un patron et des horaires de travail… C’est pourquoi j’ai sauté sur la première occasion pour en sortir. Plus de patron ! Plus d’horaires fixes ! Bravo ! Mais quand plusieurs commandes vous tombent d’un coup, ça peut vous faire du quinze heures de boulot par jour !
Dès mon entrée à la 14e (troupe scoute), je croquais de façon plus ou moins humoristique les scouts en action. J’avais même constitué des albums qui passaient de mains en mains et déchaînaient des rires. En septembre 1927, Paul Croze examina un de mes albums et me proposa de participer avec lui à l’illustration de la revue Le Scout de France. Le mouvement, qui venait d’atteindre 25 000 garçons cotisants, pouvait se permettre d’engager un rédacteur et un dessinateur rétribués pour faire marcher la revue, et l’on me proposa le poste.
Il fallait publier des livres. Je planchais pour trouver un sigle. Tout à coup vint naturellement sous mon crayon le tipi indien stylisé surmontant une flèche et signifiant Signe de Piste : « c’est merveilleux ! Adopté » me dit la directrice des éditions Alsatia ! C’est ainsi que démarrèrent les publications de la collection Signe de Piste.
Quand j’eus abandonné fripes et accessoires qui faisaient de moi un militaire, mon passage à Strasbourg fut pour moi l’occasion de mieux connaître Serge Dalens et de participer très activement à l’élaboration du Bracelet de Vermeil, premier volet de la célèbre quadrilogie du Prince Eric.
Je n’aurai garde d’oublier la collection Marabout pour laquelle je fis plusieurs centaines de couvertures, notamment celles de la série Bob Morane.
J’ai épousé une cheftaine qui travaillait comme secrétaire au Ministère de la Jeunesse, nous avons eu sept enfants. Avec neuf bouches à nourrir, il m’a fallu souvent accepter un tas de travaux… Un avantage, cependant, c’est que le matériel d’un dessinateur se composant d’une planche à dessin, de papier, de crayons, de pinceaux et de quelques tubes de couleur, tout ceci est facilement transportable… »
Signé : Pierre Joubert
Une vie passionnante et passionnée de voyageur infatigable !
Il a couru le monde avec femme et enfants ; Italie, Turquie, Mer noire, Israël, Crète, Roumanie, Yougoslavie, Pologne, Maroc, Algérie, Sahara, États Unis et Canada, d’où il rapportait des croquis détaillées enrichissant sa documentation personnelle. Les vacances familiales étaient partagées entre ces voyages et L’Île de Ré »
Il fut sollicité par des éditions désireuses de publier de beaux livres d’illustrations dans des domaines très variés ; la marine, l’histoire et les costumes à travers les âges, des textes de grands auteurs, l’architecture, le fantastique, la publicité, les calendriers, des contes et poèmes, avec toujours une caricature ou une pointe d’humour dès que cela se pouvait.
Il sera également sollicité par Roger Vercel pour devenir Peintre de la Marine.
En 75 années de travail ininterrompu, Pierre Joubert a réalisé une œuvre immense de plus de 15 000 illustrations. Une trentaine d’albums rétrospectifs témoignent des multiples facettes de son œuvre, répartis dans plus de 1000 romans et albums illustrés, 600 revues et 300 magazines.
Il s’est éteint le 14 Janvier 2002 à La Rochelle.
« Si mon art a pu, au long de toute ma vie, rallumer de ci de là, quelques tisons éteints des feux de notre adolescence, que Dieu en soit loué. »
« Le dessin de Pierre Joubert s’impose par son trait. On admire sa précision, sa sûreté, mais tout autant son agilité et même sa virtuosité. Il est en même temps art de synthèse, et art de mouvement ».
JEAN GOASGUEN
Conservateur en chef de la bibliothèque de Toulouse.
Pierre Joubert a non seulement marqué la littérature de la jeunesse du XXème siècle,
mais il a aussi contribué à donner une identité et une image à l’adolescence de l’époque.